JOEL OROS :

PRÉSIDENT SOLEIL DU SUD

Le 23/11/2021

Comment avez-vous vécu la période de confinement ?

Je suis élu à l’Union patronale du Var et à ce titre, je voyais arriver inévitable le confinement. Je l’ai anticipé et quelques jours avant la date initialement prévu de celui-ci, nous avons pris les mesures qui s’imposaient. De cette façon, j’ai pu équiper tout mon personnel du matériel sanitaire nécessaire. Cette réactivité m’a permis d’appeler mes fournisseurs pour imaginer des solutions destinées à continuer à travailler et pour avoir, par exemple, les matières premières ou les véhicules de chantier nécessaires tout le temps de la crise. Nous avons ainsi pu continuer de fonctionner tout en respectant les règles sanitaires et en anticipant une organisation du personnel qui a permis, par exemple, de ne pas mettre en contact le personnel travaillant sur les chantiers avec celui qui se trouve dans les bureaux.

Je n’ai mis personne en chômage partiel et je n’ai touché aucune aide. Je crois en l’autonomie, c’est ce que je prône tous les jours dans mon entreprise.

Pourquoi avez-vous eu durant la crise plus de commandes que les 12 dernières années cumulées ?

Effectivement, cette période nous a permis de réaliser des chantiers que nous ne pouvions pas commencer car ils imposaient un arrêt de l’activité de l’occupant du bâtiment ou l’absence de public. Le confinement nous a donné cette opportunité. De plus, les chefs d’entreprise qui disaient ne pas avoir de temps jusqu’alors à y consacrer, ont pu réfléchir et faire remonter leur projet développement durable en tête de liste de leurs priorités. Ensuite, j’ai décidé d’élargir mon périmètre d’intervention, de passer de mon département du Var à toute la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur. C’est mon plan export !

Enfin, nos confrères recherchent des bâtiments neufs pour y installer leurs panneaux. Nous, nous ne cherchons qu’à réaliser des actions les plus durables possibles !

Qu’est-ce que cela veut dire : « des actions les plus durables possibles » ?

Quand j’ai créé mon entreprise, avec mes associés j’y ai mis mes économies et ma maison en garantie des prêts, tant je croyais dans mon projet, tant je voulais lui donner une autonomie financière et partir avec des bases solides en ne prenant, par exemple, que des gens en CDI. Faire des actions durables, c’est penser que notre action est utile aux générations futures. Je suis grand-père de 5 petits-enfants, bientôt 6, ma responsabilité est de savoir que je fais tout mon possible pour apporter ma contribution très active concernant le changement climatique qui nous attend. C’est donc un état d’esprit que j’infuse dans mon entreprise : en ne me séparant pas d’un fournisseur efficace même s’il est plus cher, en achetant du matériel deux fois plus onéreux mais qui va durer beaucoup plus longtemps (je les choisis en « cradle to cradle » c’est-à-dire qui utilisent des matériaux les plus recyclés possible, ainsi dans les panneaux solaires que nous installons je n’ai que 10% de matière entrante non recyclée). Nous ne produisons aucun déchet non recyclé. Je n’attends pas non plus une loi pour augmenter les salaires de mes collaborateurs, je l’ai fait naturellement de 4% il y a quelques semaines alors que l’inflation tourne actuellement autour de 2%. Pour moi, la confiance au départ est une base très forte dans le futur de la relation et faire passer une période d’essai, c’est dire : « je te choisis mais je ne suis pas sûr, on ne sait jamais ! » cela pourrait installer immédiatement un doute dans la tête du nouveau collaborateur et casser cette confiance qu’à priori je souhaite. C’est pourquoi chez Soleil du Sud il n’y a plus de période d’essai. Nous faisons de même sur le choix de nos chantiers. La plupart de nos confrères veulent des bâtiments neufs sur lesquels poser leurs équipements, proposer des baux de 20 à 25 ans et garder la totalité de la production d’énergie. Nous, nous choisissons également des bâtiments anciens avec, souvent, de gros travaux de rénovation à faire sur la toiture. C’est une source de fierté pour mes collaborateurs de permettre à de l’ancien très énergivores de devenir créateur d’énergie propre. Nous proposons des baux sur 40 ans et pouvons partager l’énergie.

Mais comment faites-vous pour vous y retrouver financièrement ?

Vous avez raison, le coût au départ est plus important, mais les propriétaires nous choisissent pour notre état d’esprit parce qu’eux aussi deviennent partie prenante du projet. Ensuite, les marchés publics ont intégré des clauses environnementales, le fait que nos produits soient plus chers est compensé par leurs performances et le très faible niveau d’émissions carbones des produits utilisés qui nous permet ainsi de vendre plus cher nos kWh.

Vous savez, j’ai créé en 2009 mon entreprise, dix-huit mois après le gouvernement annonçait un moratoire sur le photovoltaïque. J’ai refusé de licencier. Je n’embauche pas en CDI pour licencier à la première intempérie. A l’époque, j’ai fait une perte nette de 100 000 euros. Je l’ai depuis largement compensée par l’investissement fait sur mes collaborateurs et notre culture d’entreprise. Ils savent qu’ils ne sont pas une variable d’ajustement, une monnaie d’échange en cas de tempête. Ils sont donc sereins, motivés et plus engagés et je peux compter sur eux. Nous venons d’embaucher 2 salariés venant de 2 groupes du CAC 40 qui ont choisi le sens, plutôt que salaires ou avantages numéraires plus importants car, chez moi, ils sont heureux de faire partie d’une entreprise à taille humaine et visant à chaque instant des actions durables.

Enfin, nos banquiers connaissent notre état d’esprit, cela les rassure et comme nous sommes autonomes tout ce que nous gagnons nous le réinvestissons dans l’entreprise et des nouveaux projets. Nous ne devons pas satisfaire des actionnaires qui nous obligent à nous réendetter !

Notre état d’esprit fait que nous gagnons moins que nos confrères mais suffisamment pour créer un cadre épanouissant pour nos collaborateurs, respecter l’environnement et permettre à l’entreprise de continuer de se développer. Cela nous suffit amplement, convaincus que l’inverse ce serait une course qui nous ferait perdre le sens des valeurs !

Et quels sont vos projets de développement ?

Nous allons passer “entreprise à mission” dans les prochains mois. De plus, grâce à notre stratégie d’entreprise qui mise sur des actions locales et durables, nous sommes capables de connaître nos projets jusqu’en 2023. Nous avons déjà embauché deux jeunes de l’Ecole de la 2ème chance directement en CDI. Nous sommes inscrits dans le programme « Hope » pour intégrer deux réfugiés. Dans les deux ans à venir, je vais devoir embaucher 50 personnes, principalement des couvreurs. Nous développons aussi notre potager bio où, grâce à l’action de notre maraîcher salarié, nous créons en plus de légumes, œufs, notre première huile d’olive et envisageons de créer une forêt fruitière, pour que nos collaborateurs mangent plus sainement.

Quels messages adressez-vous aux autres chefs d’entreprise ?

Pour moi les changements viendront de la société civile et nous chefs d’entreprises y avons une place de choix. Nous avons tous une zone d’influence importante sur les parties prenantes liées à nos activités. Modestement, je m’efforce de la faire ruisseler sur une cinquantaine de personnes à ce jour. Si chacun d’entre nous fait cela, notre société changera pour réduire les effets du changement climatique, cela se fait aussi par le respect de nos collaborateurs. L’un ne va pas sans l’autre. Ce sont des causes interdépendantes.

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