ELISABETH LAVILLE :

FONDATRICE D’UTOPIES

Le 07/09/2014

Elisabeth Laville, fondatrice et Directrice d’Utopies (l’une des premières agences de conseil RSE et DD, 17 personnes et est dans le top-5 des cabinets dans le monde ayant produit le plus de rapports).Vous nous faites part dans cet ITW du lancemenn de « Local footprint », un outil unique en France et vous nous expliquez de quoi il s’agit. Vous nous parlez de convergence entre la RSE et l’innovation, citez quelques exemples, les changements que doivent faire les entreprises pour suivre ces exemplarités…

Vous parlez de convergence entre la RSE et l’innovation, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

La RSE est jeune mais a connu plusieurs époques : d’abord, un temps « préhistorique » du développement durable et de la RSE, dans les années 90, marqué par une approche plutôt mécénale, quand les entreprises, conscientes qu’elles ne pourraient pas durablement prospérer dans des environnements (naturel, humain, social) qui dépérissent, se sont mises à redistribuer une partie de leurs profits à des associations de protection de l’environnement, de défense des droits de l’Homme ou de lutte contre toutes les formes d’exclusion. Puis une première époque (que j’appelle RSE 1.0), autour des années 2000, a été marquée par un enrichissement de la démarche précédente avec une approche plutôt défensive orientée sur l’éco-efficacité et la gestion des risques, notamment de réputation – avec l’adhésion à des codes de conduite volontaires, la sensibilisation des salariés et le développement de « gestes citoyens » en interne, des plans d’action spécifiques, des indicateurs et du reporting RSE… mais sans réel changement dans l’offre ou le modèle économique.

Le second temps (que j’appelle RSE 2.0), dans lequel nous sommes entrés depuis en gros 2010, au niveau international, correspond à une révolution qui ne fait encore qu’émerger mais pourrait avoir des conséquences importantes sur les politiques environnementales des grands groupes. Naturellement, cette révolution est nourrie par plusieurs facteurs combinés : la publication du Rapport Stern, qui a démontré qu’il serait plus moins cher de lutter contre le changement climatique que d’en subir les conséquences, l’effet-choc sur le grand public du film d’Al Gore puis de son prix Nobel, la visibilité croissante de ces sujets dans la presse et la multiplication des gros titres sur « la croissance verte », ou encore l’émergence d’ « alter-consommateurs » à fort pouvoir d’achat, qui arbitrent leurs choix en intégrant les critères sociaux ou environnementaux et représentent désormais 15 à 25% de la population dans la plupart des grands pays développés (France, Japon, Etats-Unis, etc.) et même plus des 3/4 si l’on considère les gens qui consomment responsable « sous conditions » avec des points d’entrée différents (que cela soit aussi bon pour la santé, que cela soit à la mode, que cela ne soit pas plus cher, etc.). De quoi s’agit-il exactement ? L’approche qui se développe progressivement dans plusieurs grandes entreprises internationales consiste à aller au-delà des pratiques corporate et industrielles pour prendre en compte la protection de l’environnement et les principes du développement durable dans l’offre effective de produits ou services, dans l’innovation, avec un changement d’échelle dans le nombre de produits concernés.. Autrement dit : une véritable intégration dans la stratégie de l’entreprise et dans son business modèle, avec une approche résolument orientée, non plus sur la prévention des risques environnementaux et d’image, mais sur les opportunités de marché liées à la fourniture de solutions environnementales, l’innovation et la transformation radicale de l’offre. L’idée-clef ici est que les entreprises ne proposeront plus, à terme, des produits responsables « en plus » des produits conventionnels mais bien « à la place » des produits conventionnels. 

Avez-vous quelques exemples ?

Au niveau international : Marks & Spencer, sans hésiter. L’enseigne affiche sa volonté de devenir « l’enseigne la plus durable au monde » et s’est lancée depuis 2007 dans un « Plan A » (en disant avec humour qu’il n’y a pas de plan B… pour sauver la planète et surtout pour sauver l’enseigne elle-même qui allait plutôt mal quand elle a engagé cette approche) qui consiste surtout à transformer l’intégralité de son offre pour la rendre complètement compatible avec les principes du développement durable. En 2010 ce plan a été renforcé et est désormais signé par un slogan « how we do business » pour souligner le fait que désormais la stratégie RSE se confond avec la stratégie business. Ce plan comprend 180 engagements sur 5 thèmes, mais l’engagement phare était que 50% des produits porteraient une garantie développement durable en 2015 (résultat déjà atteint puisque Marks & Spencer en est à 60%) et que cela concernera 100% des produits en 2020. C’est la fin des gammes vertes destinées à des niches de « bobos »… Un autre exemple intéressant est celui de Nike, qui a pris le même engagement sur 100% de ses produits à horizon 2020 et a été la première entreprise dans le monde à fusionner ses départements RSE et innovation… depuis imitée par des entreprises comme Bouygues Construction, en France, par exemple.

S’il fallait citer un exemple français, je dirais Botanic, sans aucun doute, car ils sont allés jusqu’à remettre en cause l’offre, reposant sur une grande partie sur les produits phytosanitaires (qui représentaient alors 10 à 15% du CA), au nom du développement durable : pour mémoire, l’enseigne a décidé d’abandonner la vente de ces produits au profit d’une promotion plus large du jardinage biologique et elle expérimente aussi d’autres sujets liés à la durée de vie des produits, comme la réparation des chaises en toile de jardin… Et j’aime bien, plus récemment, l’exemple de la Camif, qui était en faillite et que son repreneur essaie de redresser, plutôt avec succès pour l’instant, autour du « made in France », sur un marché du mobilier quand même en majorité d’importation. On a des choses intéressantes aussi dans ce sens chez un fabricant de mobilier de bureau, Majencia, qui a rapatrié sa production de Chine en France. Ou, sur un sujet très différent, chez Fleury Michon qui a pris un produit controversé et emblématique de la malbouffe industrielle, le surimi, pour se démarquer du marché avec un gros travail sur les recettes (suppression de tous les additifs chimiques) et sur la matière première (100% de poisson certifié MSC). La campagne de Fleury Michon, qui invite les consommateurs à venir vérifier ses engagements sur le terrain, en Alaska, est récente mais elle porte déjà ses fruits en termes de ventes : les consommateurs sont prêts à privilégier des offres plus qualitatives et responsables, même si elles sont un peu plus chères…

Quels changements les entreprises doivent-elles effectuer pour réussir à suivre ces exemples ?

Je crois que le premier changement est de considérer comme le disait Churchill que les difficultés ou les défis que posent les enjeux de la RSE, qu’ils soient sociaux ou environnementaux, sont avant tout des opportunités d’innover… Et ce changement de mode de pensée doit se faire au plus haut niveau… Ensuite, il faut mobiliser sur ces sujets toute la créativité des départements R&D ou innovation des entreprises – pour inventer les produits de demain, en faisant du développement durable l’une des qualités de ces produits (mais en ne comptant pas sur ce seul aspect pour les vendre plus cher). Enfin, il faut bien se mettre dans la tête qu’on a les clients qu’on mérite : autrement dit, si vous pensez que vos clients ne sont pas prêts pour ces produits, plutôt que d’attendre qu’ils le soient (et ce jour-là, ce sera sans doute que vos concurrents vous ont précédé), la question est plutôt comment vous allez les convaincre que c’est l’avenir… en mobilisant toute la force de conviction du marketing et de la communication. Quand Danone décide d’enlever les emballages carton autour de ses yaourts, les études lui annoncent une baisse des ventes de 20%… L’entreprise renforce ses moyens marketing pour convaincre les consommateurs, et les études n’annoncent plus qu’une baisse de 8%… Finalement, Danone a pris la décision quand même, en affichant son ambition de faire +10%, à l’encontre de ce que disaient les études, et en conditionnant le bonus de ses dirigeants sur l’atteinte de cet objectif – et cela a marché ! De même là où les constructeurs américains ont arrêté de vendre des voitures électriques après trois ans parce qu’elles ne rencontraient pas le succès, Toyota a soutenu la Prius pendant 20 ans avant qu’elle ne devienne la 3e voiture vendue dans le monde – faisant du lobbying pour qu’une personne seule en Prius puisse prendre la ligne de covoiturage en Californie, convaincant Léonardo di Caprio et d’autres stars de conduire des Prius (histoire de montrer que le statut social de demain, lié à la voiture, ne viendra plus de sa taille ou de sa puissance mais de sa performance environnementale), etc.

Vous lancez le « Local footprint », un outil unique en France : de quoi s’agit-il ?

L’évaluation de l’impact local d’une activité ou d’un site est depuis longtemps pratiquée par les entreprises, désireuses de rendre des comptes à leurs parties prenantes dans le cadre de la RSE, mais aussi par les acteurs locaux soucieux d’évaluer la contribution des entreprises au développement économique autour de leurs implantations, leur consommation des ressources locales, les externalités environnementales générées par leurs sites industriels, etc. Mais jusqu’à présent il reste rare de voir chiffrer (de manière rigoureuse et satisfaisante pour les parties prenantes) l’empreinte économique et sociale. 

Cette nécessité de prouver la contribution locale positive de l’entreprise, y compris lorsqu’elle produit dans des pays émergents, est particulièrement importante pour certaines activités comme l’hôtellerie-tourisme, les industries extractives, les délégations de service public (eau, énergie, transport, déchets), la construction ou l’immobilier… mais c’est aussi un enjeu majeur pour les secteurs de la grande consommation et de la distribution, à l’heure de la préférence locale.

Construit depuis 15 ans par notre manager sur le sujet, Arnaud Florentin, économètre de formation et passionné par le sujet, notre outil LOCAL FOOTPRINT ® permet désormais d’évaluer de manière simple et à moindre coût quelles sont les retombées économiques et sociales d’une dépense passée, présente, future ou hypothétique reliée à une activité : cela peut être un achat, une prestation, un investissement, un produit financier, une rémunération ou une recette fiscale. Construit sur le modèle input-output qui valut à Wassily Leontieff le prix Nobel d’économie et sur des statistiques officielles du monde entier, il permet de mesurer les retombées de n’importe quel acteur économique : un groupe, une filiale, un groupe d’entreprises, une filière, un site, un événement, une infrastructure, un équipement, un chantier, un projet d’investissement, un produit / un service, un portefeuille financier, une politique publique, … Concrètement, l’outil calcule à partir des flux financiers de l’entreprise (les salaires versés aux équipes, les sommes versées aux fournisseurs, les taxes payées aux différentes administrations…) les emplois directs, indirects et induits (y compris dans l’économie marchande et dans la sphère publique) liés à l’activité, ainsi que la contribution au PIB local – en sachant que les impacts peuvent évalués sur n’importe quel territoire, de l’impact Monde (dans près de 200 pays) jusqu’à l’impact micro-local (une commune,…).

Si je prends l’exemple du Center Parcs Moselle qui a été l’un de nos premiers clients, avec Pierre & Vacances : au cours de l’exercice 2011/2012, 18,7 millions d’euros ont été dépensés directement dans les régions Lorraine et Alsace par Center Parcs, ses fournisseurs et ses visiteurs. Au total, par effet ricochet, ces sommes ont permis de généré une richesse estimée à près de 26 millions d’euros de PIB en Alsace et Lorraine. Par ailleurs, en termes d’emplois, les 575 postes directement créés sur le site (hors intérim) engendrent 386 postes indirects privés ou publics dans le reste de l’économie pour les régions Lorraine et Alsace…

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« L’agence pionnière dans le conseil en développement durable » (Enjeux-Les Echos) 
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