DANIEL NAHON :

PROFESSEUR À AIX MARSEILLE UNIVERSITÉ, FONDATEUR DU CEREGE 

Le 18/06/2012

Daniel Nahon, vous êtes professeur à Aix Marseille université, fondateur du CEREGE et conseiller scientifique sur le colloque villes, monde rurale et territoires qui s’est déroulé sur Le Technopôle de l’environnement Arbois-Méditerranée (13). Vous revenez sur l’enjeu d’un tel colloque, la manière dont on peut améliorer la gestion d’une ville au travers d’une ville brésilienne prise pour modèle, le fossé qui s’installe entre le monde rural et les villes, les risques naturels qui les guettent et enfin comment la biodiversité y prend place…

 

 

Quel est l’enjeu d’un tel colloque ? 

Ce colloque se situe dans une suite de colloques annuels qui ont pour ambition de traiter d’une thématique générale « science et développement durable ».Chaque année un sous-thème est abordé. Il s’agit de réunir pendant deux jours les meilleurs spécialistes du sous-thème traité sous différents angles de vue, sciences exactes, sciences humaines et sociales, sciences politiques, sciences de la santé…et de porter à la connaissance d’un large public sous forme de conférences les acquis les plus récents puis d’ouvrir le débat avec l’audience. Car l’enjeu est bien d’informer, de porter la science la plus pointue dans la cité et de débattre avec le public citoyen le plus souvent profane en la matière. Et ce débat n’est pas restreint, il est libre de parole et d’idéologie car il s’agit avant tout de réconcilier le citoyen avec la science.  

Expliquez-nous au travers l’exemple d’une ville brésilienne sur laquelle le monde prend modèle, comment peut on améliorer la gestion d’une ville ? 

Pour traiter des villes il m’est apparu important de faire témoigner les responsables de leur conception (architectes urbanistes) et les responsables de leur gestion (maires) surtout si celles-ci furent une réussite. On a réussi à trouver  » l’oiseau rare » en la personne de Jaime Lerner, à la fois architecte de génie et maire durant trois mandats de la ville de Curitiba au Brésil puis deux fois élu gouverneur de l’État du Parana. La réussite de cette ville tant sur l’organisation de la géographie urbaine, que dans ses transports, dans la revalorisation des banlieues, des déchets, des sites défigurés a attiré l’intérêt de nombreux responsables de grandes villes d’Amérique du Nord , d’Europe et d’Asie qui sont venus visiter Curitiba et essayer d’en comprendre la réussite. Mais Jaime Lerner est un visionnaire à la fois comme concepteur mais aussi comme humaniste, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Il a tenu avant tout à réaliser vite et bien pour le bien être des citoyens, de tous les citoyens sans distinction entre quartiers de riches et quartiers de pauvres. Sa conception d’un urbanisme adapté à des transports très fréquents de surface (sans métro) avec moins d’une minute d’attente entre deux passages, avec des conditions d’embarquement adaptés à tous et rapides, la revalorisation d’anciennes carrières en théâtres ou en jardins publics avec des matériaux peu coûteux et un design futuriste, des projets réalisés immédiatement après leur conception etc. tout cela aura permis à cet homme de génie de « réussir sa ville »! Outre les nombreuses reconnaissances et prix internationaux que Jaime Lerner a obtenus, le magazine Times l’a cité en 2010 comme l’un des 20 grands penseurs de son époque.

Il est affligeant de voir qu’aucun des deux maires qui ont à gérer Marseille ou Aix n’aient eu envie de rencontrer l’ancien maire de Curitiba et d’échanger avec lui sur leurs expériences. Il s’agit là encore sans doute d’un comportement de singularité culturelle française, grâce à quoi on sait tout mieux que les autres!

Comment lie t-on le monde rural qui s’affaiblie par rapport aux villes qui s’élargissent ? 

Le monde rural occidental a changé progressivement de visage au XIX e siècle d’abord avec la fin du servage et de l’esclavage mais aussi avec le progrès scientifique et l’avènement de l’utilisation routinière des combustibles fossiles et de leur dérivés. La surface de terre travaillée par paysan est multipliée par vingt : elle passe de 10 à 200 hectares, libérant une partie d’entre-eux pour rejoindre et grossir les villes. Le rendement à l’hectare des céréales est multiplié par 5 par la motorisation, l’emploi d’engrais. Toute cette production pouvant être rapidement transportée par voie terrestre ou maritime : les régions agricoles les plus éloignées sont désenclavées par les transports grâce entre autres aux voies goudronnées Tous les territoires en sont bouleversés et les villes voient désormais affluer massivement les denrées alimentaires sur les marchés. Cette restucturation emboîtée du monde rural, des villes et des territoires semble ne plus pouvoir s’arrêter, sauf peut-être à amorcer un mouvement inverse. L’habitat bourgeois semble migrer hors de la ville faisant apparaître cette péri-urbanisaion comme une forme d’évolution du monde rural. C’est la segmentation de l’aménagement, l’occupation des terres arables au moment où on en a le plus besoin, les lotissements, les zones d’activité qui érodent les territoires. Il faut savoir que simplement deux grands pays que sont la Chine et les États-Unis ont une urbanisation qui occupent chaque année autant de terres arables que la superficie de sept Danemark! Et les villes à leur tour se vident de leur espace public classique : plus de petits commerçants mais des super et hypermarchés qui facilitent le volume d’achat et l’obésité, plus de vitrines pour admirer les produits en vente mais la solitude de son écran internet, plus de quartiers et ses cinémas mais des zones commerciales et ses salles multiplex. 

Quels sont les grands risques naturels des zones urbaines et les villes particulièrement concernées ? 

Les connaissances scientifiques ont permis depuis 20 ans de mieux comprendre et d’expliquer les risques sismiques qui affectent les zones urbanisées, on sait où ils peuvent se produire mais on est encore loin de pouvoir les prédire. Les mégaséismes avec des amplitudes supérieures à 9 sur une échelle de risque de 10 sont les plus dévastateurs. Ce sont ceux qui affectent les bordures de plaques tectoniques et dont le dernier séisme qui a affecté la côte nord-orientale du Japon avec le tsunami qui en a résulté entraînant lui-même des conséquences dramatiques sur la centrale nucléaire de Fukushima en est un terrible exemple. Aujourd’hui l’Italie connaît des séismes moins violents mais très destructeurs car les constructions historiques ne sont pas conçues pour y résister. Demain Istambul pourrait-être le lieu d’un séisme de grande ampleur. Il faut tirer des conséquences sur les matériaux à employer et les types d’urbanisation à concevoir afin de limiter les destructions humaines là où les grands séismes se produisent. Les coûts de ces constructions ont toujours fait reculer les responsables politiques. Il faut donc savoir que les mégaséismes resteront encore pour longtemps un risque majeur et latent pour une fraction de l’humanité.

Comment aborde t-on la biodiversité dans les villes ? 

D’une façon simple: en observant! Avec l’emploi de pesticides de toutes sortes dans le milieu rural, bien des animaux se réfugient dans les zones urbanisées qui s’étendent pour y trouver refuge et nourriture. C’est ce que les spécialistes appellent le retour de la biodiversité en ville. C’est valable pour nombre d’espèces d’oiseaux, mais aussi pour les renards. Mais soyons lucides, ce n’est qu’un épi-phénomène qui rassure nos consciences comparé à la destruction de la biodiversité, car celle-ci est parfois si microscopique et si abondante qu’on l’éradique sans le savoir ou tout au moins sans le voir! Ce sont nos paysages qu’il faut protéger et pour cela il faudrait protéger nos forêts, nos terres arables, nos rivages, nos mers: ce sont les royaumes de la biodiversité.

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