MR JAVEL :

CHEF DE PROJET À SAFEGE

Le 24/05/2014

Mr JAVEL, vous êtes chef de projet à SAFEGE au sein de la direction déléguée Méditerranée outre-mer, siège basé à Aix en Provence et générant 16 millions de CA. SAFEGE est spécialisé, entre autre, dans l’ingénierie de l’eau et les infrastructures hydrauliques et portuaires. Dans cet ITW vous nous expliquez l’impact que l’habitat et les constructions portuaires ont sur l’écosystème et les moyens mis en place pour y remédier avec le programme Girel : Gestion des Infrastructures pour la Restauration Ecologique du Littoral.

Quels impacts l’habitat et les constructions portuaires ont eu sur les écosystèmes littoraux ? 

Depuis plus d’un demi-siècle, les écosystèmes littoraux ont subi de profondes modifications avec une perte considérable de l’habitat de la zone côtière. Entre 1960 et 1995, 1 000 km de la côte européenne naturelle ont été remplacés par des constructions (ports, terre-pleins, ouvrages de protection contre l’érosion, etc.). 

Le long de la côte méditerranéenne française, on dénombre ainsi près de 1000 aménagements occupant plus de 5 200 ha, soit environ 5 % des fonds marins entre 0 et 10 m de profondeur. Ces aménagements génèrent une occupation et une fragmentation irréversibles des écosystèmes littoraux. La destruction de l’habitat est au sommet de la hiérarchie des atteintes à la biodiversité mondiale. 

Pour y remédier, expliquez-nous ce que veut dire l’éco-conception des aménagements côtiers ? 

Si les aménagements côtiers présentent de façon intrinsèque un bilan écologique nettement négatif, des exemples montrent que ceux-ci peuvent abriter, selon leur localisation et leurs caractéristiques, une biodiversité notable (poissons, crustacés, mollusques, etc.) et offrir des fonctionnalités écologiques même si elles n’ont pas été identifiées et désirées au stade de la conception.

Ainsi, ce constat a fait émerger une prise de conscience progressive qu’il était possible d’intégrer des fonctions écologiques (nourricerie, habitat) aux fonctions premières des ouvrages (protection de plan d’eau, lutte contre l’érosion). Une nouvelle discipline associant écologie et génie civil est née : l’éco-conception !

Le volet biodiversité de l’éco-conception des aménagements côtiers est l’aboutissement d’une démarche fondée sur l’évitement et la réduction des impacts. Après s’être intéressée aux effets négatifs, elle va chercher à créer ou renforcer des effets positifs sur la biodiversité littorale dans une perspective de valorisation écologique des ouvrages.

C’est en s’inspirant de la nature, qu’il est possible d’adopter une démarche d’éco-conception des ouvrages. Qu’il soit existant ou à l’état de projet, tout type d’ouvrage est susceptible d’être éco-conçu ou éco-adapté : quai, digue, enrochement, ponton… En fonction du contexte écologique local, une multitude de mesures peuvent être combinées : modifier le profil des ouvrages ou le type de matériaux, proposer des transplantations d’espèces ou ajouter des dispositifs visant à complexifier l’habitat.

L’éco-conception des ouvrages maritimes en tant qu’optimisation du rôle écologique des fonds côtiers artificialisés rentre notamment dans les objectifs de préservation des habitats marins. Ceux-ci sont fixés par les politiques communautaires, et plus particulièrement par la directive habitats, la directive cadre sur la stratégie marine, la directive cadre sur l’eau et la stratégie européenne pour la mise en place d’infrastructures vertes.

SAFEGE en quelques mots ? 

Depuis plus de 60 ans, SAFEGE exerce ses compétences en ingénierie auprès des collectivités, autorités publiques, délégataires de services publics, clients privés et industriels dans les domaines qui constituent ses 4 métiers :

  • l’eau et les infrastructures hydrauliques et portuaires,
  • l’environnement et les déchets,
  • l’aménagement urbain et les transports,
  • les énergies et les télécommunications.

Fortement ancrée sur le territoire français, SAFEGE est également présente dans plus de 35 pays via des implantations permanentes et de nombreux projets d’envergure à travers le monde. Son chiffre d’affaires atteint 105 M€ en 2013.

SAFEGE rassemble 1 400 collaborateurs, spécialistes et experts en hydraulique, hydrogéologie, environnement, déchets, génie civil, électricité, aménagement urbain, transport, ports, océanographie, énergie, télécommunications, finances publiques.

En France, SAFEGE est organisée en 6 Directions Déléguées. La Direction Déléguée Méditerranée Outre-Mer, dont le siège est basé à Aix-en-Provence, gère un chiffre d’affaires de 16 M€. Les activités liées directement au littoral sont pilotées par la direction d’activité « Infrastructures maritimes et portuaires », en collaboration avec ACTIMAR, filiale de SAFEGE spécialisée en océanographie opérationnelle.

En quoi consiste le programme Girel : Gestion des Infrastructures pour la Restauration Ecologique du Littoral ?

Le programme GIREL – est une initiative du Grand Port Maritime de Marseille (GPMM). C’est le projet le plus important sélectionné en 2010 à l’issue d’un appel à idées lancé par l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse et le Pôle Mer Méditerranée sur la restauration écologique en milieu marin.

Ce programme de recherche et développement a pour objet l’expérimentation de solutions de restauration écologique innovantes sur les sites portuaires industriels de Marseille et du Golfe de Fos. GIREL doit identifier et évaluer les opportunités de valoriser ces espaces et ouvrages maritimes par l’adjonction d’habitats (naturels ou artificiels) ou l’amélioration de fonctions écologiques marines. Il réunit un ensemble de sociétés privées porteuses d’expérimentations (Lyonnaise des Eaux, Ecocean, Egis et SAFEGE), l’Ifremer et des partenaires scientifiques.

Le budget global du programme GIREL est de 5 millions d’euros sur 5 ans (2011-2016).

L’un des projets phares : transplanter des algues du genre Cystoseira pour la valorisation écologique des ouvrages maritimes. Quel est l’intérêt ? 

La combinaison de trois facteurs motive la transplantation :

  • La présence de Cystoseira amentacea apporte une grande valeur écologique aux côtes rocheuses.
  • De nombreux ouvrages maritimes présentent des caractéristiques a priori favorables à l’espèce.
  • La plupart des ouvrages sont trop éloignés des populations de Cystoseira amentacea pour une colonisation naturelle.

D’où l’idée de procéder à du génie écologique en transplantant des individus fertiles de Cystoseira amentacea sur les ouvrages maritimes pour initier ou accélérer les processus de colonisation et, in fine, accroître leur valeur écologique et restaurer certaines continuités écologiques (rompues par les aménagements).

A partir d’une série de points d’implantation judicieusement répartis, Cystoseira amentacea est ensuite susceptible de coloniser progressivement, par dispersion de proche en proche, l’ensemble des enrochements concernés.

Le projet CYSTORE permet d’envisager des applications à une échelle régionale. En effet, On recense plus de 100 km d’aménagements côtiers en région PACA, dont a priori au moins la moitié est susceptible d’être valorisée sur le plan écologique par la transplantation et la colonisation par les cystoseires.

Quelle sera la méthode utilisée et les étapes nécessaires à sa réussite ? 

La méthode innovante mise au point dans le cadre du projet CYSTORE comporte un dispositif support conçu spécifiquement pour résister aux très fortes contraintes mécaniques liées à l’hydrodynamisme, offrir une surface facilitant la fixation et le développement de recrues de cystoseires et enfin, prévenir la prédation notamment par certaines espèces de poissons « herbivores ». Un mode opératoire précis nécessitant une grande expertise scientifique est défini. Celui-ci porte notamment sur la caractérisation initiale du potentiel des sites d’accueil ainsi que la période et la gestion précise du niveau d’implantation des dispositifs de transplantation, paramètres clés conditionnant la réussite de l’opération.

Le projet CYSTORE a démarré en 2012. Après la recherche et la caractérisation de sites d’expérimentation, un prototype de support de transplantation a été mis au point et testé sur la digue du large du port de Marseille.

Les travaux de transplantation ont été réalisés en mars 2014 et se sont achevés début avril. Quatre sites de configuration variable et répartis dans la rade Marseille ont été équipés et font désormais l’objet d’un suivi rapproché pour contrôler la survie des transplants, leur croissance ainsi que le comportement des poissons brouteurs (les saupes). A partir de l’automne 2014, un suivi spécifique sera mené pour comptabiliser et microcartographier les recrues (jeunes pousses) de part et d’autre des supports de transplantation.

A l’issue du projet CYSTORE, SAFEGE et l’Institut Méditerranéen d’Océanologie, son partenaire scientifique, formuleront des préconisations concrètes pour faciliter la colonisation des aménagements maritimes par les cystoseires par intervention sur les caractéristiques des ouvrages (ouvrages en phase conception) et par transplantation (nouveaux ouvrages ou ouvrages existants).

Les cystoseires sont des algues marines pérennes comptant environ 40 espèces distinctes dont une vingtaine est endémique à la Méditerranée. Présentes de la surface jusqu’à près de 80 m de profondeur, la plupart des espèces du genre Cystoseira structure l’habitat en trois dimensions et peut former de véritables forêts. Les cystoseires abritent ainsi une grande biodiversité, et pour certaines, jouent un rôle essentiel d’abris pour les juvéniles de nombreuses espèces de poissons.

Cystoseira amentacea var. stricta est une cystoseire endémique de Méditerranée, présente juste au niveau de la surface sur les côtes rocheuses bien éclairées et soumises à un fort hydrodynamisme. D’une longueur maximale de 70 cm, cette algue brune pérenne peut former localement des ceintures denses et continues ; elle est considérée comme une espèce fondatrice sur le plan écologique. Très sensible à la pollution, Cystoseira amentacea var. stricta est une espèce clé pour l’évaluation de la qualité écologique des masses d’eaux côtières.
Cystoseira amentacea var. stricta n’est pas une espèce protégée au niveau national, mais est inscrite dans la liste des espèces de flore de la Convention de Barcelone et de la Convention de Berne.

Population de Cystoseira amentacea var. stricta dans la rade de Marseille
A l’échelle de la Méditerranée française, Cystoseira amentacea var. stricta est encore abondante et se rencontre dans toutes les côtes rocheuses favorables13. Au niveau des ouvrages maritimes, la grande rareté des implantations de Cystoseira amentacea, semble principalement liée à sa très faible capacité de dissémination l’empêchant de franchir la distance séparant les ouvrages maritimes des côtes rocheuses où elle est implantée.

Dans la rade de Marseille, les ceintures de Cystoseira amentacea sont bien développées sur les côtes rocheuses naturelles de la côte Bleue, de l’archipel du Frioul et des Calanques. Historiquement, C. amentacea était implantée sur les côtes rocheuses occupées actuellement par le Grand Port Maritime de Marseille.

Sur les ouvrages maritimes, la présence de Cystoseira amentacea est connue sur la digue du port du Frioul et, de manière très ponctuelle, sur certains ouvrages du Grand Port Maritime de Marseille.

Pour en savoir plus : www.safege.fr

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