ELISABETH LAVILLE : 

EXPERTE EUROPÉENNE DE LA RESPONSABILITÉ SOCIALE ET ENVIRONNEMENTALE DE L’ENTREPRISE  

 

 

 

 

 

 

Le 08/03/2011

Elisabeth Laville, vous êtes l’une des expertes européennes de la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise. Vous avez créé en 1993 le cabinet Utopies (17 personnes et est dans le top-5 des cabinets dans le monde ayant produit le plus de rapports) Vous présidez également le panel de parties prenantes conseillant en permanence le groupe Lafarge, vous êtes membre du Conseil d’Administration de Nature & Découvertes et chargée d’enseignements dans le Mastère spécialisé d’HEC. En 2008, vous êtes nommée au titre de Chevalier de la Légion d’Honneur pour votre engagement pour l’environnement et la RSE. Vous serez à notre plénière du rendez-vous de la RSE et de ses Innovations le 31 mars à Marseille. Dans cet ITW vous nous faites part du regard que vous portez aujourd’hui sur l’évolution des stratégies de développement durable dans les entreprises montrant que la RSE est rentable et sur quels sujets travaille plus particulièrement l’équipe d’Utopies ? 

 Vous avez aussi fondé, entr’autres initiatives, le site www.mescoursespourlaplanete.com, référence française en matière de consommation responsable.

 

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Vous avez créé Utopies il y a 18 ans : quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’évolution des stratégies de développement durable dans les entreprises et en quoi cela est rentable ?

Je crois que les stratégies des entreprises sur le sujet ont connu trois temps, et que nous abordons en ce moment la troisième et nécessaire étape, ce que j’appelle le développement durable 2.0.

D’abord, dans les années 80 à 95, ce fut le temps du mécénat, une sorte de « pré-histoire » du développement durable : les entreprises découvraient l’existence de problèmes sociaux et environnementaux, elles voyaient bien qu’elles ne pourraient pas durablement prospérer dans des environnements naturels et sociaux qui dépérissaient, donc c’est aussi par intérêt bien compris qu’elles ont commencé à consacrer une partie de leurs profits à des associations de protection de l’environnement, de défense des droits de l’Homme ou de lutte contre toutes les formes d’exclusion. Deux initiatives emblématiques de cette approche sont la création en 1986 par Claude Bébéar, patron d’AXA, de l’Institut du Mécénat Humanitaire (aujourd’hui devenu l’Institut du Mécénat de Solidarité puis Entreprendre pour la Cité, avec un champ d’intervention élargi à la RSE) ou encore celle par 14 grandes entreprises françaises de la Fondation FACE (Agir Contre l’Exclusion), en 1993. De cette époque datent aussi la plupart des grandes Fondations d’entreprises, pour la biodiversité, la protection de l’environnement ou d’autres causes. Mais ces approches restaient marginales par rapport à l’activité des entreprises, dont elles ne changaient pas les pratiques internes, les produits ou services ni le modèle économique ou la stratégie.

La période suivante (ce que j’appelle développement durable 1.0), a également duré une quinzaine d’années – en gros de 1995 à 2010 : elle aura été marquée par un enrichissement de la démarche précédente avec d’une approche plutôt défensive orientée sur les pratiques internes (environnement dans les usines, ressources humaines, achats) et la minimisation des risques sociaux, environnementaux ou de réputation. Concrètement, cela passe pour les entreprises par l’adhésion à des codes de conduite volontaires (le Pacte Mondial des Nations-Unies date de 1999), par la sensibilisation des salariés et le développement de « gestes citoyens » en interne (recyclage du papier, économies d’énergie, etc.), par la formalisation d’un plan d’action spécifique, le lancement d’un ou deux produits « éthiques » et la publication d’un rapport annuel dédié à ce sujet (conformément, pour les entreprises cotées, à la réglementation sur les Nouvelles Régulations Economiques, parue en 2002). Bref, tout ce que les entreprises appellent aujourd’hui « développement durable ». Mais de même qu’auparavant les pratiques de mécénat restaient distinctes des pratiques internes, ici la stratégie concerne les pratiques corporate internes mais reste bien distincte de la stratégie de business de l’entreprise et de son offre de produits ou services. D’ailleurs les perspectives de marché liées aux produits plus responsables restent marginales (cas du commerce équitable : 2% du marché du café en France en 2004).

Enfin, l’ère dans laquelle nous sommes entrés depuis peu de temps, au niveau international, correspond à une révolution qui ne fait encore qu’émerger mais pourrait avoir des conséquences importantes sur les politiques environnementales des grands groupes. Naturellement, cette révolution est nourrie par plusieurs facteurs combinés : la publication du Rapport Stern, qui a démontré qu’il serait plus moins cher de lutter contre le changement climatique que d’en subir les conséquences, l’effet-choc sur le grand public du film d’Al Gore puis de son prix Nobel, la visibilité croissante de ces sujets dans la presse et la multiplication des gros titres sur « la croissance verte », ou encore l’émergence d’ « alter-consommateurs » à fort pouvoir d’achat, qui arbitrent leurs choix en intégrant les critères sociaux ou environnementaux et représentent désormais 15 à 25% de la population dans la plupart des grands pays développés (France, Japon, Etats-Unis, etc.). De quoi s’agit-il exactement ? L’approche qui se développe progressivement dans plusieurs grandes entreprises internationales consiste à aller au-delà des pratiques internes et industrielles pour prendre en compte la protection de l’environnement et les principes du développement durable dans l’offre effective de produits ou services, avec une stratégie d’innovation et une approche commerciale proactives. Autrement dit : une véritable intégration dans la stratégie de l’entreprise et dans son modèle économique, avec une approche résolument orientée, non plus sur la prévention des risques environnementaux et d’image, mais sur les opportunités de marché liées à la fourniture de solutions environnementales… Ainsi Toyota a développé son modèle hybride Prius, investissant massivement en recherche et développement sur cette technologie puis multipliant les efforts en marketing pour créer un marché qui n’existait pas. De même, Philips s’est engagé à faire qu’un tiers de ses ventes proviennent de produits verts d’ici à 2012. Plus ambitieux encore, Marks & Spencer a annoncé en janvier 2007 son « Plan A », affirmant avec humour qu’il n’y avait pas de plan B pour sauver la planète : l’enseigne s’est engagée à avoir 50% de ses produits porteurs d’une garantie développement durable à horizon 2015 et 100% de ses produits à horizon 2020. 

Sur quels sujets travaille plus particulièrement l’équipe d’Utopies en ce moment pour contribuer à développer cette nouvelle vision et les pratiques qui l’accompagnent ?

Nous avons historiquement trois métiers : l’un qui concerne le développement et la formalisation des stratégies de développement durable de nos clients, en interface soutenue avec leurs parties prenantes (ce qui est sans doute l’un de nos points de différence) ; le second qui concerne plus spécifiquement l’intégration du développement durable aux stratégies de R&D, à la démarche d’innovation dans les produits ou services, et à la stratégie commerciale ou marketing (car l’offre verte ou responsable, quelle qu’elle soit, a besoin d’être soutenue pour rencontrer son public) ; et le troisième qui concernait historiquement les rapports de développement durable (Utopies est dans le top-5 des cabinets dans le monde ayant produit le plus de rapports) mais intègre désormais aussi les démarches visant à rendre des comptes aux clients, via un étiquetage environnemental ou social des produits par exemple. Chaque pôle a sa contribution à apporter vers le développement durable 2.0, sur la définition de stratégies proactives et ambitieuses inspirées de l’approche 2.0 évoquée plus haut, sur les stratégies d’innovation et de marketing responsables, et naturellement sur les outils d’évaluation ou d’étiquetage sociaux et environnementaux des produits. Parmi nos récents clients sur ces dimensions : Botanic, Nature & découvertes, Sodexo, Cojean, le centre de conférences des Fontaines (premier site de son marché à obtenir l’éco-label européen en France)…
Et nous avons également des expertises et pôles sectoriels qui déploient ces métiers sur des industries spécifiques : le plus ancien date de 2004 et porte sur la construction durable (foncières, matériaux de construction, entreprises de construction, bailleurs sociaux, etc.), mais nous avons également des équipes spécialisées sur l’alimentation-restauration, la banque-assurance, la cosmétique, le tourisme … ou encore le secteur public.